Samedi 17 Octobre 2015
Le mercredi 16 septembre, j’ai une envie d’aller au ciné. Seule.
Ce jour-là, Much Loved sort.
FICHE D’ETAT CIVIL
J’avais déjà entendu parlé de ce film sur le plateau de l’émission « C A vous » (les gens qui me connaissent savent que j’adore ce type d’émission!). Étaient invités le réalisateur Nabil Ayouch et l’actrice principale du film Loubna Abidar qui, soi-dite en passant, est menacée de mort. Ce que j’entends m’interpelle d’injustice, de préjugés, d’indifférence…Vous pouvez voir ici, ce qui m’a marqué.
Ce long-métrage parle de la prostitution marocaine, précisément à Marrakech, là où le fléau est et demeure. Juste devant le Mac Donalds. Oui je connais la ville pour y avoir été à deux reprises, je connais ses coins, ses recoins, ses lieux festifs, et je sais où les trouver ces prostituées, ces putes, ces femmes vendant leurs charmes charnels pour beaucoup ou pas grand chose. Parce qu’elles doivent faire vivre une famille et elles-mêmes. Facile aussi, de les reconnaître. Je suis la première à crier qu’il y a d’autres moyens de survivre que cette façon-là, où que nous soyons sur Terre. Oui survivre. Le mot est approprié. Juste aussi (et Dieu sait combien la justice me tient à coeur, combien l’injustice me fait pleurer).

Nabil Ayouch, le réalisateur et Loubna Abidar, l’interprète principale du film qui a reçu deux prix lors de la cérémonie du Valoix d’Or en France
Avant même que le réalisateur ne demande le visa d’exploitation du film au Maroc, la terre mère de ce film, le voilà censuré. Il se voit interdit par le gouvernement. Pourquoi? À cause d’une vague de haine ayant submergé les réseaux sociaux et notamment Twitter. A cause de politiques et d’anonymes criant au scandale pour l’image du Maroc, au scandale parce que c’est soi-disant un film érotique. Ils auraient pu crier au scandale pour toute raison n’ayant aucun lien avec le film s’ils avaient pu! A quoi bon l’interdire alors même que le visa d’exploitation n’avait pas encore été demandé et qu’en plus de cela l’autorisation de tournage avait été acceptée auparavant?! Donc on peut tourner mais pas diffuser?! Quelle hypocrisie de ce gouvernement royal que d’autoriser le tournage mais non la diffusion! Parallèlement, les menaces se multiplient sur l’équipe du film qui se voit expédier manu militari dans une villa à Casablanca, louée et protégée par une équipe de sécurité pendant plusieurs semaines. Loubna Abidar, l’actrice principale s’est même exilée en Europe le temps que les choses se calment.
Si vous voulez en savoir plus sur les raisons évoquées par le gouvernement marocain pour justifier l’interdiction, c’est ici.
Le film raconte l’histoire de 4 jeunes femmes se prostituant ainsi que leurs relations avec familles, petits-amis, clients, policiers… On est plongé au coeur du vieux Marrakech, dans les ruelles de la Casbah, dans les nights-clubs, dans les villas louées à coups de milliers de dirhams par des émiratis, des Saoudiens et autres populations moyenne-orientales qui s’autorisent ce qui est interdit par leur religion, ce qu’ils s’interdisent avec leurs femmes. On est plongé dans le désarroi d’une des prostitués qui finie tabassée, dans la douleur d’une autre dont la mère accepte l’argent « sale » de sa fille (encore l’hypocrisie) et qui, ensuite la rejette complètement car son voisinage est au courant de ce que fait sa fille (l’ahchouma, « la honte », le regard des autres qui finit toujours par l’emporter). On distingue la maquerelle sans scrupules, on est plongé dans le viol, la corruption, la police, les étrangers « français » usant de leurs droits, de leurs statuts. Et ces petits moments de bonheur, que parfois vivent ces femmes. Les scènes sexuelles ou presque sexuelles sont présentes. Le nu aussi. Elles me choquent car je ne m’y attendais pas, les journalistes disant qu’il n’y en avaient pas. La langue est marocaine. Le langage est dialectal, populaire, pleins de gros mots, de mots sexuels, tranchants, vifs, poignants, crus.
Les descriptions sont sans langue de bois et c’est ce qui me met mal à l’aise. Plus le film avance dans son scénario, moins je suis bien, j’ai l’impression d’étouffer, ca se bouscule dans ma tête, ca me dégoûte parfois. Je passe par toutes les émotions. Et puis je comprends le marocain, je n’ai pas besoin de ces sous-titres français. Cela me touche encore plus. Je suis sur le cul (sans mauvais jeu de mots ;)) et bouche bée. J’apprends des choses que je ne sais pas. Je suis interpellée par la tendresse de ces personnages, par leurs maux et leurs malheurs, par leur subsistance, par leur amour malgré tout. Rien n’est tabou dans ce film: ni l’alcool, ni la drogue, ni la cigarette (celle-ci étant très mal vue quand ceux sont les femmes qui la fument), ni l’argent, ni le sexe, ni les relations familiales, ni l’homosexualité, femmes et hommes confondus. Rien.
Et moi dans ce siège, je me demande comment l’actrice principale, Loubna Abidar (actrice connue au Maroc) notamment a-t-elle fait pour jouer ce rôle, l’assumer, comment s’est-elle mise à nue au sens propre comme au figuré. Est-ce que ses parents, sa famille le savent? L’ont vus? Et son rapport à la société marocaine, à la religion musulmane? Bref, toutes ces questions me tourmentent.
Je suis partagée entre la liberté, les valeurs religieuses, les traditions…Je reste sans voix.
Je m’interroge. Nous savons tous que sexe et religion ne font pas bon ménage. Pourquoi religion? Parce que le scandale provient du fait que dans un pays traditionaliste et traditionnellement musulman, on ne parle pas de ces choses-là car elles sont pêchés.
Mais aussi pour plusieurs autres raisons:
- Car dans les pays africains, moyen-orientaux, il y a des sujets tabous, que l’on préfère taire à coup d’interdictions, de menaces, de prison, de violence, de corruption
- Car ce qui fait « honte », on doit l’éliminer, le nier, l’étouffer comme ces jeunes filles qui font honte à leur famille, qui la dhésonore et qui de ce fait se voient rejetées par les siens (ce qui n’arriverait pas à un homme sauf si celui-ci est gay, ce serait la seule raison pour que cela n’arrive)
- Car l’hypocrisie est reine dans ces pays comme dirait le proverbe qui est un de mes favoris
« Ce dont on ne parle pas n’existe pas »
- Car comment lever le voile sur ces milliers d’émiratis qui dépensent des milliers de dirhams dans l’économie souterraine ET officielle du pays quand on sait ce qui se passe dans leur propre pays ? (des milliers de femmes marocaines se rendent aux Emirats pour se prostituer, beaucoup d’entres elle finissent mariées à des émiratis. Les femmes du pays détestent aujourd’hui les marocaines car elles leurs « ont volées » leurs potentiels maris ).
*Cette dernière phrase est assez claire? *
Ce film met le doigt sur des sujets sensibles, qui font mal autant à l’image du pays qu’à ce qu’il est dans ses tripes, qu’à ce qu’il détient en soi, sur ses terres, dans sa chaire.
Mon ultime question, mon coup de gueule, mon désespoir, même dans la vie de tous les jours c’est pourquoi ne pas dire les choses? Pourquoi être hypocrite? Pourquoi ne pas dire et montrer la vérité et surtout l’assumer? S’assumer, assumer ses choix.
Pour quelles raisons le Maroc ne prend-il pas le problème à bras le corps pour le résoudre?
Sans doute que, même pour la royauté, il est plus facile de mettre le couvercle sur le problème que d’investir dans la solution…
Maintenant, vous pouvez voir la bande-annonce du film, juste là.
J’espère que je vous ai incité à voir ce film engagé ne serait-ce que pour soutenir la liberté, l’art du cinéma et ces femmes dont les voix sont censurées.
Boussa&Smile